J’ai regardé le bord de mon corps…là où commence l’inconnu
Je ne serai pas démocrate :
le bonheur des uns fait le malheur des autres
Je ne serai pas républicain :
le bien commun n’est pour personne
Je ne serai pas anarchiste :
la loi du plus fort finit par triompher
Je ne serai pas monarchiste :
les symboles ne sont pas immuables
Je ne serai pas totalitaire quand la totalité souffre un par un
Aristote, réveille-moi : ils sont redevenus fous.
J’ai regardé le bord de mon corps…au premier pas de mon élan
Là où ma peau devient de l’air
Le débat ? Il faut nommer qui a tort et qui a raison ; il ne longe que les tombeaux des « autres »
La lutte ? Il faut nommer le vainqueur et le vaincu ; elle ne ronge que ce qui est aux « autres »
L’indifférence ? Elle ne nomme ni victime ni bourreau, elle ne songe pas aux « autres »
La résignation ? Elle ne nomme ni les uns ni les autres, elle ne plonge que dans le vouloir d’un « autre »
J’ai regardé le bord de mon corps…là où je ne suis plus seul
avant que l'ocre du chemin se noie dans l'ombre bleue des sapins
Là où le vent et mon cuir s’épousent
Tous les Ceci et les Cela une fois prouvés font loi,
Lus et approuvés quelquefois
Durs et éprouvants souvent
Le désordre vert des arbres au printemps,
la rengaine des radios, le parfum du café au lait,
même le glissement des cartes sur le tapis portent
en leur face cachée
une dédicace, l'épitaphe des combats inutiles, des armées identiques.
Le rideau des peupliers sous la pluie,
au bord du fleuve, le long de la route nationale,
encage mon horizon dans une grammaire invisible à force de quotidiens.
Au matin, déposer mes oriflammes, feue la nuit, mes bûchers, et
Assis dans le chenal de mes rides, en bordure de mon corps, lisière
Jusqu’au bord de ce corps, devenir ce que je suis :
Je suis de sang, je suis de sève, d’eau en torrent et de grain en la pierre.
Je suis suc dans la branche, veine dans le bras, rigole sur la grève,
Je serai hier, Je suis demain, j’étais maintenant.
J’ai regardé le bord de mon corps :
les atomes ne dessinaient aucune douane
pas un seul pointillé entre eux et les autres
Seuls dansaient des amas de microparticules,
Toutes de la même facture.
L’orgue des choses a réglé ma dette :
il joue la musique de mes sphères moléculaires, mon âme danse.
J’ai voulu toucher le bout de mon monde, le bord de mon corps.
Je n’ai rien touché du tout.
Tous les mondes sont un seul, et hors d’eux, rien…
J’ai bien des limites, mais je ne trouve pas ma frontière.
Je ne suis qu’un résumé des autres choses,
mises autrement, autrement dites, pour un temps par ici.
Une des combinaisons possibles de particules à jamais séparables.
Et à ce jour, consanguin de toute chose.