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25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 04:41

Certains qui me connaissent ont tenté de lire de la poésie, en vain. Comment lire la poésie, et l’apprécier, puisque tant de gens la fuient parce « qu’ils n’y comprennent rien » ?

Considérez comme faux ce qui suit :

 

-       La poésie ? De jolies phrases qui riment, avec le même nombre de syllabes dans chaque vers !

La rime n’est pas nécessaire. En appui au dictionnaire de rimes, je prends la version CD – Rom d’un dictionnaire. J’y trouve la fonction « recherche phonétique ». Elle me liste tous les mots finissant par un son : facile, Émile ! Quelle belle rime, lorsque bien présente, elle se fond dans le tout, naturellement, ou qu’elle arrive en coup de frein, pour suspendre l’élan. Sinon, son poids mort casse le rythme des vers : une ballerine en snow-boots, tutu et casque lourd pour tenter des entrechats discrets. Il en va de même pour le mètre, le nombre de syllabes : on peut le conserver. Trop rigide cependant, il dessert le souffle. Le souffle ? La respiration, haletante ou profonde, qui, dans nos parlottes habituelles colore tout autant les mots, leur donne épaisseur et force, voilà le filet d’eau dont aucune digue ne doit briser la puissance.

 

-       Les poèmes qu’on ne comprend pas, ce n’est pas de la poésie.

Beaucoup de philosophes ont écrit de mauvais poèmes : Voltaire par exemple. Pourquoi ? Parce qu’avec des rimes de 800 tonnes, il décrit non pas des émotions, mais des idées. Remises en prose, comme un bon exposé philosophique, on y sent des faiblesses. Alors pour faire passer la pilule, hop, on mouline le tout en alexandrins. Ça vous donne un côté vieux sage, croit-on. Que nenni ! Sous les douze pieds moralisateurs se cache un laxatif puissant. Ils emmerdent — je n’ai pas d’autre terme aussi proche de sa vulgarité — tout le monde…

Voltaire écrit : « Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi
/Si c'est l'orgueil qui crie “O ciel, secourez-moi !
O ciel, ayez pitié de l'humaine misère !”
/“Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire.”
/Quoi ! l'univers entier, sans ce gouffre infernal/Sans engloutir Lisbonne, eût-il été plus mal ?
 ».

On le lit bien : « l'humaine misère », voilà une lourdeur de trop, placée ainsi pour la rime, pour le mètre. Dans tout ce texte, matière à une prose en uppercut, l’absence de poésie ailleurs que dans la forme académique rend l’ensemble grandiloquent. Comptez le nombre de fois où en si peu de vers, Voltaire utilise le verbe « être ». Ce verbe terne répété manifeste la fadeur du propos. Au final, on écoute poliment les longueurs que la recherche de la rime et du mètre impose. Faute de raisonnement bien boulonné, car Voltaire se savait sans plus d’arguments que d’autres sur ce point, les « Donc », les « Car » ont cédé la place à des « Ô », des « Ah » surjoués, bidon.

 

-       Qu’y a-t-il à comprendre dans un poème ?

Le minimum. Le poème prononce ce que l’essai, l’exposé, la démonstration, le roman, la nouvelle ne peuvent pas exprimer.

Tout le poème mélange la musicalité et l’émotion. Le poème c’est de l’émotion qui chante. La technique n’a d’autre justificatif que d’y mener.

Ne cherchez pas ce que l’auteur a voulu dire par là, s’il a vécu ou inventé  : ressentez l’émotion.

Quand R. M. Rilke écrit « Dansez l’orange », quel mouvement, quel parfum éveille en vous quel sentiment ? Le sentiment enfin atteint, le poème sera lu.

Oui, P. Celan est très hermétique. Si l’on veut « comprendre ». Qu’on se laisse pourtant saisir par l’ambiance, le ton, et alors son monde apparaît. Ensuite, comme les topinambours, on aime ou pas…

Quant à la joliesse, cela dépend du modèle. G. Benn est morbide. Mais son travail cherche un hymne à la beauté au creux des salles de dissection, à la « Morgue ». Le thème, le sujet du poème demeurent parfois inconnus du poète lui-même. L’internet, avec ses milliers de blogues poétiques, montre la facilité à mettre par écrit un bon gros chagrin. « Amour, toujours, pour » contre « sage, volage, mariage ». La poésie ne pourrait donc restituer le bonheur, sans les « Ah », « Ô » et adjectifs de circonstance ? Certes, le mièvre guette. Travailler à écrire le simple, le bonheur : rude et bel exercice. L’exploration de la complexité du simple, de l’étrangeté du banal, guidé par la poésie nous mène au tréfonds de nous-mêmes et du reste.

 

Si vous voulez lire de la poésie, laissez-vous guider par l’émotion, même fugace, même infime, même confuse. Les assonances, les glissements de son et de sens, les images concrètes et le flou du rêve, tout vient la servir. Oui, un soldat peut dormir la nuque baignant dans un frais cresson bleu. Non, à ce moment du « Dormeur du Val », l’herbe n’est plus verte. Si cela vous désarçonne, alors prenez les poèmes calmement, en imaginant ce qu’ils lâchent mot à mot. Laissez vous aller à la rêverie : « cela me rappelle, on dirait un peu comme quand... ». Très vite, cette lecture s’imposera, et vous entrerez dans les poèmes, car déjà eux vous attendront en vous.

 

Ensuite, après bien des lignes, dont les vôtres, car le beau est fécond, vous discernerez le cliché standard, ce vêtement trop usé, aussi facilement qu’entre deux couscous, vous saurez celui qui vient de la cantine et de son fer blanc. Vous serez déçu par l’arnaque des « chevaliers de la rime dans les cités du crime » : ils ont des choses à déclarer, mais doivent tout apprendre de la langue, et oublier comment la démagogie les a poussés au premier plan. Vous toucherez les soudures où l’auteur a peiné ; vous compatirez, parfois émerveillé, d’autres fois notant le procédé : on ne sait jamais ce qui peut servir. Vous admirerez — car vous les verrez — et le travail fait par l’un pour parvenir, après des années de gammes, à une spontanéité criant sa vérité du jour, et la façon dont un autre rivette des mots lentement choisis, et la maîtrise de la grammaire que cet autre possède pour la contraindre à exprimer ce qu’il veut. Vous sentirez lequel a du talent et de la maestria, tout en sachant vous laisser faire, vous laisser guider vers le plaisir.

 

La première fois que, relisant pour la dixième fois peut-être une strophe, vous sentirez vos yeux s’humecter sans savoir d’où cela vient, ou bien qu’une phrase nouvelle s’installera en vous avec l’aisance d’une évidence, ou bien que la sonorité d’une strophe suffira au-delà du sens des mots à rénover totalement ce que ces mots peuvent exprimer, alors vous aurez appris à lire la poésie.

 

Puis une fois tous les dix ans, ou dix fois par jour, quand un bouleversement vous saisira, vous aurez à la main ou en mémoire, la légende de cet arrêt sur image : ce sera de la poésie. Vous serez heureux de rejoindre ce genre de station de bus, cette page avec ses mystérieuses petites lignes dites des vers, véhicule plus ou moins cahotant, mais en route vers Cythère : « Invitation au voyage ».

 

 

Parvenu à ce point, vous entendrez ne serait-ce que parfois, les poèmes muets enfouis dans un brin d’herbe, un regard, un lampadaire et trois ratons laveurs. L'essorage de la machine à laver vous dictera une rythmique, les noms de ce qui tombe sous vos yeux, un abécédaire. Là, entre les choses de la vie, vous percevrez la silhouette vague d'un poème à naître. Avec plus ou moins de réussite, je suis prêt à parier que, dans les replis du quotidien ou la saillie d’un satori, vous tenterez de trouver les mots de ces textes encore silencieux pour les mener au jour. 

 

Vous aurez alors appris à lire et à écrire la poésie.

 

 

P.-S. : Désolé de n'avoir pu faire plus court sur un tel sujet…

 

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commentaires

P
Printemps, le parfum des mots, que jase le jasmin sur la peau caressante du matin, la corolle des lèvres au creux de la main...<br /> Bien senti Le Babel !
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L
Te lire est toujours un plaisir, comme t'entendre lire tes poèmes !
J
<br /> <br /> Oui ! Merci le babel, merci, et j'ajouterais, s'il est nécessaire, surtout ne pas chercher à comprendre ce que l'auteur a voulu dire, ce qui est extrêmement réducteur, mais plutôt chercher à<br /> entendre en nous la résonance et le mouvement des émotions,voire même, des idées. Devant un poème, il faut donc consentir à se perdre, ne fut-ce qu'un seul instant, le temps d'un battement, et le<br /> regard s'est transformé.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Volons à Maïmonide les mots "Guide des égarés"… Le principe d'égarement n'est-il pas à l'origine des plus belles surprises, si ce n'est pour soi, du moins pour ceux à qui on le raconte.<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> <br /> Comprendre? Non, surtout pas. On a tenté de me faire "expliquer" Baudelaire pour le bac. C'était il y a très, très longtemps. Un peu plus et j'étais dégouté à vie de toute forme de poésie.<br /> <br /> <br /> Quant à écire, pourquoi pas. En égoïste, sans attendre de jugement. Et tant pis si c'est faible, mauvais ou que sais-je. Juste pour le plaisir.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> J'ai eu aussi ce sentiment. Tout était prêt pour l'autopsie du poème : je me suis rendu compte que le cadavre n'en était pas un, qu'il vivait encore. Comment autopsier en ces conditions ?<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Merci, le babel, mon vers était flou et perdu, il se cherchera désormais dans mes tripes nouées, fou et éperdu.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Ton vers est plein : bois-le !<br /> <br /> <br /> <br />
S
<br /> <br /> Merci! Oui l'émotion, merci! Pour moi la poésie c'est laisser à chacun son interprétation en suivant ses émotions! Pas de snobisme surtout!<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Je suis étonné par tous ces "merci". Merci à toi aussi, merci à vous tous qui m'avez lu. Pour ce que tu dis, entendre des comédiens lire, ou jouer car c'est tout un, mes poèmes me les fait<br /> toujours comprendre autrement. C'est le moment de la dépossession. Exorcisme ?<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> <br /> Bel article avec, en prime, une juste mise au point face aux prosateurs de la rime. Bravo !<br /> <br /> <br /> J'espère que ceux qui ont peur de la poésie sauront te lire et t'entendre.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Es-tu le Florent de Nancy : dans ce cas, ton trait soulignant les faux-monnayeurs en est d'autant plus vif, car tu n'en es pas, mais comme moi tu en as vu se bien vendre ici et là…<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Merci. Je n'y croyais pas du tout et j'étais même irrité en lisant ton titre. Je ne le suis plus et te remercie. Un petit sentier peut-être :"Le poème c'est de l émotion qui chante", dis-tu.<br /> Qu'elle est juste cette phrase. J'ai bien évidemment flashé sur cette phrase. Tant qu'on chante c'est qu'on respire, et ce n'est pas la moindre des vertus que de nous aider à continuer à vivre.<br /> Mais pour accès à la poésie, nous trouvons aussi, n''est-ce pas, la chanson au sens plus restreint (quoique ...) ... Nées toutes deux dans les charmes, les épopées, etc, elles se<br /> séparent et se retrouvent, jumelles homozygotes, fusionnelles, se réchauffant au souffle l'une de l'autre, je crois. La mémoire et la mer, chanson, poésie ? N'y a-t-il vraiment (en cherchant bien<br /> !) aucune poésie dans les "tubes creux" des radios-putes ? Poètes, n'oubliez pas la chanson. Elle mène jusqu'à vous.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> J'ai beaucoup coupé avant que le texte conserve cette taille, dont, à l'endroit que tu cites, quelques phrases sur les chansons. Aiguillonné par ta réponse, j'y repensais quand je me suis aperçu<br /> que Julos (Beaucarne) quand il chante "la musique donne des ailes à mes mots" avait dit l'essentiel…<br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> "Il est six heures du soir l'été. On chante du côté du lavoir". Jean Giono (Les Bastides blanches).<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> "Les cloches sonnent sonnent sonnent<br /> <br /> <br /> sans raison et nous aussi…"<br /> <br /> <br /> T. Tzara, L'homme approximatif <br /> <br /> <br /> <br />
J
<br /> <br /> Je te le pique pour mon blogue, alors.<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Tu sais que tu peux, alors ne te gêne pas  !<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> <br /> amen (et merci)<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Allez en paix…<br /> <br /> <br /> <br />