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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 16:33

2.       Phares et phalènes

 

Notre coin de terre est parvenu à un nadir. Et les autres quartiers du monde ? Que voulez-vous que j’en sache : je n’y vois rien ! Il faudrait de la clarté.

Bien des gens veulent être brillants, lumineux ; or ceux qui éblouissent ne peuvent être vus, car ébloui, on ne voit plus rien. Seuls les phalènes se font brûler dans leur ivresse. Les Lumières sont celles qui éclairent ; elles, on ne les voit pas (sinon, phosphène, retour à la case éblouie), mais on voit ce qu'elles éclairent. La lumière n'est jamais vue, mais ce qu'elle révèle. De là, si « dieu est Lumière », il faudra se détourner de dieu, au nom de lui… Non pas brûler nos yeux, mais regarder ce qu’il éclaire. Blaise Cendrars dans « Pâques à New York » l'a si bien écrit : « Mon Dieu, je ne pense plus à vous ». Et je vous assure, Mademoiselle, que vous étiez éblouissante, mais n’allez pas me remercier pour cette remarque…

Quelles lumières me reste-t-il, pour arpenter nos murs mitoyens ?

De grands belvédères offrent un espace où contempler les choses : il est devenu malaisé de les trouver, ces points focaux de la pensée. Nos autorités ont dépensé en ronds-points et ronds de jambe ce qui aurait permis de baliser la nuit. Et pourtant, elles sont là, ces esplanades. Aristote les avait rangées en catégories fort pratiques. Plotin savait luire depuis l’au-delà de l’horizon où tout devient un, montrant à distance une rangée de perles, nacres gouttant d’un reflet d’une nacre plus éloignée : la Riviera d’en face et ses lampes, avec une aura en toile d’arrière-fond.

Sur le bord des routes de mon lotissement, quelques phares, éblouissants à la mode, passent, inutilement rois de leur garage : BHL — BMW, M’sieur Onfray (les marques déposées dans l’entrée des lieux de pouvoir valent plus que ce qu’elles marquent), et d’autres lucioles aveuglant des mouches. Quelques chats sur les balustrades se figent, leurs yeux soudain verdoyants d’un abîme miroitant. Deux lacs de jade en écho aux éclats un peu lointains des grands penseurs. Ces réflexions sur les miroirs s’insinuent, permettant de distinguer les fenêtres trompant leur ennui à bâiller sur le vide en chemises de nuit, rideaux offerts aux souffles.

Les phares clinquants de nos dits penseurs attirent le regard sur eux, tandis qu’enroulés dans leurs ombres, dorment les jardins ici à la japonaise, ici à la française, là des délices, plus loin d’Éden, un autre des Houris, un voici un alpin, et encore cet autre de curé, celui-ci d’ouvrier, noyant leurs distinctions dans cet obscurantisme ambiant cependant zébré de clair là où scintillent leurs bordures.

Tout ce qui est accord, mur mitoyen, suppose la pluralité : il faut au moins deux différents pour un accord : le cassoulet tandoori n’aura jamais le charme d’une amitié franco-indienne, d’un passage de plats encore chauds par-dessus le mur du jardin, à la lueur d’un lampadaire bien moins regardé que le flux de la sauce passant les murs.

Nous les chats savons la saveur des gouttes de sauce estampillant les guichets dans le grillage.

Longtemps je m’étais levé de bonne heure, désormais, dans le noir, assis sur les pierres où les hommes de mon temps fermement se claquemurent, prêts à tuer le démiurge sans déjà plus rien savoir de lui, j’attends l’aube avec l’obstination féline d’une femme de marin priant Saint Neptune pour son homme…

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