(©l e b A b e l, Cie du Talon Rouge)
À quelques minutes du Camp de Natzweiler,
À la porte de l'Hôpital où furent amenées les dépouilles chaudes de 87 hommes,
Ex-Anonymes Matricules Rayures Disparues
Dans la nuit et le brouillard,
Bonjour.
Bonjour, Menahem Taffel,
Un des transférés d'Auschwitz pour "expériences" au KL voisin,
Bonjour,
Car bientôt
Très bientôt
Il n’en restera
Aucun
Aucun
Le silence proposera son manteau
Au gravier, au fer qui grince, au bois qui craque
Tous les survivants auront été rattrapés ;
Tous en leur temps, avalés par la Grande Vorace
Seront ramassés dans des lettres sur un marbre.
Je me moque des souvenirs qui traînent après les leçons,
Je veux entrer dans la mémoire, me loger dans l’utérus
Dans la matrice où naissent les souvenirs et les récits
Parce que maintenant,
Le gravier veut des pas où crisser :
A qui sera le tour ?
Partout la pluie fait des chapelets de rosée
Sur les barbelés noirs et fauves
Un carré, un stade,
Où vingt, vingt-cinq milliers,
Ou plus,
Ont quitté la vie.
Ici, la boue chante des accents étouffés
Quand elle descend avec les rigoles
Nées au sommet, où le camp trônait
Là, les arbres ont été nourris à la cendre humaine
Chacun de ces humains au peu à peu qui passait,
Tandis qu’ailleurs des clochers comptaient le temps
Chacun de ces humains des deux côtés des barreaux
Chacun
Chacun
Est mort dans la mort
Mort dans la mort de chacune des victimes
Chacun de ces humains était un amour pour quelqu'un
Sa photo l’attendant là où les bombes n’étaient pas tombées
Que reste-t-il de ces amours ?
Il reste
Nous.
Nous…
Il est fini le temps des chrysanthèmes
Nous ne sommes pas plus que des liserons
Pour fleurir encor chaque année, nous montons
à l'assaut des grillages rouillés : golems.
Nous tissons nos fils au-dessus de l’oubli
Sur une mémoire hérissée, accrochés
Nous flottons comme du linge toujours taché
Partout les chapelets de rosée nous prient
Sous la pluie des jours, nous ne pouvons sécher
Nous ne serons plus ni drapeaux ni oriflammes
Tous ces humains sacs de peaux jetés dans les flammes
Nous habitent, nous emportent, nous soulèvent,
Pour fleurir juste un peu plus haut que leurs rêves
Sur la dernière ombre des barbelés rouillés ;
Alors, liserons, à l'assaut des lignes, fleurissons.