8 juin 2011
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Madame l’Existence,
Conformément aux émotions, et par hasard aux convertibles convenances, aux sentiments, nous avons enfumé l’arrière-salle des
immeubles aveugles pour que la brume sur leurs façades donne aux lampadaires une allure d’arbres à lunes. Certes, les lunes ne sont pas encore mûres, et dans ce roncier, seules des étoiles
scintillent parfois aux domiciles photovoltaïques. Nous avons pris soin de nourrir de sépia, d’encre sèche et de lambris les palettes de couleur. Dans les haut-parleurs, nous avons caché des
crachotements, et des chuchotements sur le chemin qui coupe en longeant les silos. Les silos ? Chas entre ces trémies où se tailler la face dans la morsure des bises de l’Est, quand les
carcasses rouillées des usines vides ponctuent le chômage.
Si d’aventure, vous, Madame l’Existence, estimiez que nous n’avons pas de quoi
orner votre quotidien, vous êtes priée, Madame l’Existence, d’aller pavaner vos prétentions là où paillettent les divas d’un soir, en quadrichromie — pour être précis —, et de nous
laisser écouter le crissement du sable quand passe un accord mineur.
Merci.
Idem, les fûts élancés d’une forêt, tout habillée de fleurs diaprées et de
verdures chamarrées, dansent sous le vent des bouches d’aération : désormais, Marylin Monroe sera brune de la tête au pied, et fine, et africainement british, et plus encore, made in
Brighton. Sa robe blanche est devenue une tenue changeante, aux couleurs projetées en avant, écouteurs de nacre dans les pavillons auditifs. En émissaire, elle va proclamant bien fort que demain
le ciel apprendra à mordorer deux yeux rieurs et une bouche à dévorer dix vies, trois brownies, tout en discourant sur un ultime chanteur si beau.
Madame l’Existence,, il est temps d’aller te rhabiller : inutile de courir
après le goût du jour, il est déjà passé. Essayons notre saveur, pour une fois.
J’accuse réception de ton passage, madame l’Existence, comme un merle rieur au
bec jaune dans l’ombre bleue des thuyas, comme la braise rouge au revers de mon Syrah, comme le gémissement du vent qui hulule dans ces ruelles de Carcassonne, celles où faute de promotion, il ne
vient jamais personne, sauf deux ou trois amoureux du silence.
J’entends ce silence de rêve me redire que c’est dans tes bras, Madame
l’Existence, que s’élance le bel âge des vingt ans.
J’entends la pluie des souvenirs détremper le sous-bock où j’ai noté le
souvenir de mes vingt ans.
Regarde, je le jette dans le fleuve : chante ! « Beau, beau,
petit bateau, le passé s’en va sur l’eau ».
Quand il aura délavé mes notes, tu y mettras les tiennes, Madame
l’Existence.
Alors n’oublie pas, quand l’auras vérifié, de nous dire si le ventre de la
terre est rond comme celui d’une femme qui va accoucher du futur…
Mais dis-le-nous en silence : le présent est un enfant qui dort dans
l’embrassement d’un souvenir et d’un espoir…