J'ai vu au journal des Images, à 20h. On nous montrait une rue d'Abidjan. Et au milieu de cette rue, un homme nu. Et la voix disait : "un soldat blessé agonise".
Je ne sais pas...
je ne sais pas pourquoi, la rue étant plate,
le filmeur n'a pas posé son oeil de verre
à terre, couché le chien, avec dans le champ,
pleine vue rasante sur la rue, et son homme
et lui debout de dos allant le secourir.
Je ne sais pas.
je ne sais pas comment un soldat en plein combat
si n'est pas un Celte de la guerre des Gaules
vient s'allonger nu sans arme, sans haillons d'argent
sans haillon du tout, rayon noir d'un soleil mort
D'aucuns sont passés sans le soigner,
D'aucuns sont passés le dépouiller,
D'aucuns l'ont mis à poil : l'équarrisseur
n'aura que l'or des dents, bien fait ?
D'aucuns sont passés le nier, rature sur l'asphalte
Si au passage, coups et insultes épicent :
c'est dans le forfait de la forfaiture.
Et pendant ce temps-là il meurt.
D'ailleurs depuis hier, il et d'autres sont
Déjà morts, comme ci comme ça, ici et ailleurs
C'est un homme qui meurt, il a son quart d'heure
de gloire en couleurs, réduit à quelque chose
pour l'heure encore médiatique.
Même le pire criminel est un homme.
Digne comme un saint que l'encens
habille dans la foule qui le pleure
Digne cette dignité humaine dont nul homme
ne s'évade, ce qui le rend coupable parfois
Mes uns comme les vôtres sont des hommes.
je ne sais pas pourquoi mes consanguins
Font ces choses-là sous les couleurs vives
des arbres ou à l'abri des regards dans des caves,
mais à d'autres qui sont aussi mes consanguins
Il y a eu l'homo erectus,
celui-là s'est mis debout.
Il y a eu l'homo habilis,
celui a taillé des outils,
et très vite des tranchants :
peut-être pour offrir des fleurs ?
surtout pour tuer gibier et rivaux
Il y a eu l'homo sapiens,
celui-là à commencé à penser, dit-on
Mais à penser à quoi ? À occuper
roitelet sur son trône de nanar
le sommet de la chaîne alimentaire.
Mais mieux, Homo sapiens sapiens est venu
à pied, à cheval, puis en char
pour que lui le seul, mais lui, rien que lui,
et pas un autre de son espèce
lui ce petit nombril du vaste monde,
soit le sommet du plus haut de la chaîne alimentaire,
En fait, il n'y guère eu qu'Homo Predator.
Il a taillé des armes,
puis Homo Predator Predatorum,
vite dépassé grâce aux talents
en robe immaculée de nos ingénieurs
par Homo Predator total :
Du Japon à la Lybie,
via les Cartels des narcos trafiquants,
de la Côte d'Ivoire, aux chambres à gaz
étasuniennes, sans oublier ma cage d'escalier
où nichent les dents de la terre.
Et puis, par ailleurs et par chance
il y a de l'avenir qui demande à naître,
qui demande le goût de la vie
qui se demande ce qu'il fait ici
homo autre chose, ni sapiens,
car il ne sait pas tant qu'il aime,
ni predator, car il a senti
en ses tendons le froid des lames.
Homo humain.
Aung san Suu Ki, par exemple.
J'en ai assez du sapiens sapiens
fatigué du sapiens sadien
homo sapiens qui sent le sapin
Un homme n'aura jamais
ni autant de mémoire ni de savoirs
inscrits en lui qu'un gros disque dur,
alors ? L'homme serait un sous-ordinateur ?
Sapiens sapiens manque d'un supplément d'âme,
de ce trois fois rien qui fait briller les yeux
de ce pas grand-chose qui fait attendre
sous la pluie dans le halo du réverbère
Et si on passait à l'homo humanus, tout simplement ?
Juste parce que les Riches Heures ne se goûtent que vivant…