J’ai regardé le bord de mon corps… là où commence l’inconnu
Bilan ?
Je ne serai pas démocrate : le bonheur des uns fait le malheur des autres
Je ne serai pas républicain : le bien commun n’est pour personne
Je ne serai pas anarchiste : la loi du plus fort finit par triompher
Je ne serai pas monarchiste : les symboles ne sont pas immuables
Je ne serai pas totalitaire quand la totalité souffre un par un
Le débat ?
Il faut nommer qui a tort et qui a raison ; ça ne longe que les tombeaux des « autres »
La lutte ?
Il faut nommer le vainqueur et le vaincu ; elle ne ronge que ce qui est aux « autres »
L’indifférence ?
Elle ne nomme ni victime ni bourreau, elle ne songe pas aux « autres »
La résignation ?
Elle ne nomme ni les uns ni les autres, elle ne plonge que dans le vouloir d’un « autre »
Je ne veux pas le partage des richesses des autres
Je me moque de libérer la femme des autres
À quoi me sert de proclamer l’égalité des autres
Dénoncer les abus de pouvoir des autres
Réclamer le désarmement des autres
J’ai regardé au bord de mon corps… au premier point de mon élan
J’ai regardé au bord de mon corps… là où la solitude
S’achève ou redouble comme le gel en février
Tous les ceci et les cela, une fois prouvés, font loi,
Mais périmées par le temps passé à les prouver
ceci et cela lus et approuvés quelquefois
ceci et cela durs et éprouvants souvent
ceci et cela comme neige au soleil
ceci et cela comme les infos de la veille
Le désordre vert des feuilles au jardin, sous le vent
L’écho des musiques de cour en cour, en vagues
le parfum d’un café au matin, un rien grand-chose
la douceur les cartes sur le tapis au bar, mousse et humus
la saveur d’un moka ou d’un piment, feu dans le fade
portent en leur face cachée une dédicace, l’épitaphe des combats inutiles, des armées identiques,
des drapeaux alignés au musée de mes désertions
Le rideau des platanes sous la pluie,
Vers le canal, borde mon lit
Le long de la route nationale,
Encage mon horizon.
Je vais déposer mes oriflammes et mes bûchers,
Jusqu’au bord de mon corps,
Devenir ce que je suis, ce dont je ne rêve pas
Je suis du sang, je suis de la sève, de l’eau des torrents et du grain de la pierre.
Je suis un suc dans la branche, une veine dans le bras, une rigole sur la grève.
Je serai hier je suis demain j’étais maintenant.
J’ai tout autant de créances que je devrais avoir de croyances
J’ai regardé le bord de mon corps : de très très près, là
Où les molécules se frôlent en vraies galaxies :
les atomes ne dessinaient aucune frontière.
Seules dansaient des amas de quasi-particules, toutes de même facture.
L’orgue des choses va jouer la musique de mes sphères,
— bosons, neutrons, électrons, photons, protons, marchons, marchons —
Puis réglera ma dette aux échanges atomiques :
Car mon cœur danse déjà debout sur mes tripes
J’ai voulu toucher le bout de mon monde,
J’ai bien des limites, mais je ne trouve pas ma frontière.
Je ne suis qu’un résumé des autres choses, mises autrement, pour un temps par ici.
Une combinaison possible de particules à jamais séparables.
Et à ce jour, consanguin de toute chose.